Bande de Flippés, c’est notre podcast en partenariat avec Le Lab RH.
Dans cet épisode :
- Caroline Damond
- Sa peur : rater une mobilité
Vous pouvez l’écouter, ou simplement lire la transcription ci-dessous.
Bouh !
À retenir de cet épisode
- Caroline fait part de sa peur que certaines mobilités professionnelles soient mal alignées avec les attentes des collaborateurs ou du management, ce qui peut conduire à des échecs.
- Elle évoque le risque qu’une mauvaise compréhension des compétences ou des enjeux d’un poste rende l’intégration difficilement rattrapable.
- Elle insiste sur l’importance de l’anticipation grâce à la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) pour éviter les erreurs.
- Elle rappelle que l’intégration, même pour des mobilités internes, doit être soignée comme pour un recrutement externe.
- Caroline souligne les dangers des mobilités mal préparées, comme les passages à des postes de management sans accompagnement adapté.
- Elle préconise de co-construire les parcours en laissant du temps pour la formation et le développement des compétences.
- Elle affirme qu’une mobilité réussie, qu’elle soit interne ou externe, favorise l’épanouissement des collaborateurs et renforce leur employabilité.
« Dans tous les postes de travail, on ne peut pas être 100 % focus sur l’opérationnel. Développer un collaborateur, c’est lui laisser le temps d’apprendre, transmettre et interagir. »
La transcription de l’épisode
Caroline Damond [00:00:00] J’ai peur de rater une mobilité.
Intro/Outro [00:00:09] Bouh! Bienvenue dans Bande de Flippés, le podcast qui explore les peurs des RH et des recruteurs. Que l’on ait 2 ou 20 ans d’expérience dans la fonction, les doutes subsistent, inhérents à la complexité de la nature humaine. À qui en parler ? Dois-je partager à ce sujet ? Où trouver les solutions ? Nous partons à la rencontre de DRH, RRH, recruteurs et recruteuses qui se confient à notre micro et ont décidé d’affronter la peur… de parler de ses peurs.
Raphaëlle – L’étincelle RH [00:00:37] Nous accueillons aujourd’hui Caroline Damond, Chargée de ressources humaines chez Danone, RRH pour Leclerc, puis DRH du groupe Bouhyer, aujourd’hui DRH chez Vibracoustic et pourtant, flippée.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:00:49] Bonjour Caroline.
Caroline Damond [00:00:50] Bonjour Etienne.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:00:51] Est-ce que tu peux nous expliquer ta peur ?
Caroline Damond [00:00:53] Alors ma plus grande peur, c’est de rater une mobilité. Une mobilité c’est un changement de poste, de métier. Une mobilité, ça peut être un changement d’endroit, de lieu, mais toujours au sein d’une même entreprise. Et ma peur, c’est quand ça ne marche pas, quand ça ne le fait pas.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:01:09] Et ça veut dire quoi justement « rater une mobilité » ?
Caroline Damond [00:01:12] Quand il y a un mismatch, soit ça ne plaît pas au salarié, il ne s’y retrouve pas, le poste n’est pas le poste rêvé et attendu. Soit c’est du côté plutôt du management. Dans ces cas-là on se dit « mais on aurait pas dû le choisir, ça correspond pas du tout au profil qu’on m’a vendu ou à l’entretien que j’ai fait ». On n’y est pas en fait, on s’y retrouve pas.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:01:31] Et par ton expérience, si tu as vécu des ratages de mobilité on va dire, pour toi c’est quoi les causes principales qui font qu’on se plante soit côté collaborateur ou entreprise ? Qu’est-ce qui génère ce risque de plantage ?
Caroline Damond [00:01:45] Alors le risque de plantage côté collaborateur, ça va plutôt être : je n’ai pas finalement bien compris quels étaient les enjeux, quel était le périmètre du poste, les missions dans le quotidien, j’ai beaucoup d’espoir et finalement le poste ne remplit pas tous les espoirs que j’avais. Côté management, côté direction : c’est s’apercevoir que le salarié est très loin des compétences qu’on attendait, c’est une intégration qui va être ratée, c’est un environnement qui ne convient pas et c’est là-dessus qu’on va devoir travailler.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:02:22] On est aujourd’hui dans des mondes en transition, qui bougent beaucoup, des métiers qui apparaissent ou qui disparaissent ou qui se transforment. Donc ça nous amène de plus en plus à avoir des collaborateurs en mouvement, en mobilité. Comment on arrive à gérer ces environnements potentiellement où ces métiers changent et qu’il faut qu’on amène les collaborateurs à aller vers de la mobilité ? En tout cas aller vers du développement, vers d’autres métiers.
Caroline Damond [00:02:48] En fait il faut anticiper, il faut prévoir tout ça. Alors, grâce entre autres, à une gestion des emplois et des parcours professionnels. Il faut se renseigner bien avant, construire des parcours bien avant. Donc avec une GEPP (= gestion des emplois et des parcours professionnels en entreprise) on va pouvoir s’organiser, on va pouvoir diagnostiquer déjà l’étendue des compétences des collaborateurs. On va pouvoir tout au long d’un parcours évaluer la performance grâce aux objectifs. On va pouvoir travailler sur ce que sont les soft skills du collaborateur. Tout ça fait partie de l’anticipation pour travailler au mieux sur la bascule sur la mobilité. Comme tu l’as dit, nos entreprises sont en train de se transformer. Il y avait entre autres un avant Covid, un après Covid. Les métiers aussi sont très impactés par l’intelligence artificielle, la société évolue donc il faut suivre cette société. Donc il faut prévoir tout ça. Toute cette prévision-là elle va nous amener à rendre la mobilité moins casse-gueule finalement et en faire un facteur de réussite. Ça, c’est une première partie. Pour moi, il y a aussi une partie essentielle qui va être l’intégration du collaborateur. Ok on a retenu ce collaborateur-là, il fait déjà partie de l’entreprise, il connaît notre culture d’entreprise, donc on décide de travailler ensemble et de le faire bouger sur un autre poste. OK. Mais l’intégration, c’est comme s’il venait de l’externe presque. Il faut que ce soit travaillé, que ce soit construit, qu’on l’accompagne dans la prise de fonction, dans toutes les connexions qu’il peut avoir. C’est un enjeu majeur parce qu’on sait qu’il vienne de l’extérieur ou qu’il soit en mobilité, une intégration ratée de par l’environnement ou autre, une intégration ratée sera difficilement « récupérable » j’ai envie de dire par la suite.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:04:40] Tu parles de l’intégration mais tu parles aussi un peu de la partie finalement « validation d’un candidat » en disant « il connaît l’entreprise, il connaît la culture ». Est-ce que pour toi, parfois dans les mobilités, on sous-évalue l’évaluation des compétences, du potentiel à changer de poste ? Parce qu’on connait le collaborateur, parce qu’on sait qu’il peut avoir une dimension d’apprentissage, parfois on lui fait passer un « gap » qui est trop important ou qui l’amène sur un mauvais poste.
Caroline Damond [00:05:04] C’est exactement ça. Quand on le connait, « oui, j’ai entendu dire qu’il bossait bien ». « Oui, on l’a vu intervenir sur un projet donné à un moment donné », mais pas sur toute sa vie quotidienne et son travail au quotidien. Et pour ça, tout ce qui est fait autour des revues de performance, de l’évaluation du potentiel, c’est essentiel pour justement bien comprendre s’il remplit la majorité des compétences attendues et comment surtout préparer ce gap de compétences. Diagnostiquer les compétences des collaborateurs et surtout diagnostiquer les compétences attendues au poste. Voilà, l’écart est de toute façon à combler, que ce soit avant la prise de poste ou juste après. On ne peut pas juste se baser sur « ouais, il est sympa, il a bien bossé sur tel projet, ça s’est bien passé ». Non, il faut construire cette mobilité.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:05:55] Et ta peur de la mobilité, elle vient d’une expérience que tu as vécue justement ? Un collaborateur qui avait échoué suite à une mobilité ? Une situation compliquée à gérer ? Ou tu as en tête un exemple de situation ?
Caroline Damond [00:06:05] Alors j’ai eu finalement plusieurs ratages de mobilité. Alors souvent, de mon expérience à moi, c’était sur de la mobilité verticale, c’est à dire un collaborateur qui devenait responsable, manager et en plus de ses propres collègues, donc au sein de la même équipe. Donc le poste est vacant, on n’arrive pas à recruter et donc on fait progresser le collaborateur pour lui offrir ce poste de chef d’équipe ou de manager sans accompagnement, juste avec une validation de ses compétences techniques. C’est super casse-gueule, c’est casse-gueule parce qu’il devient chef de ses collègues. Ils étaient à un même niveau, ils travaillaient tous ensemble de manière collective et on ne l’a pas accompagné à adopter une nouvelle posture. Donc là, c’est dans le rapport avec son équipe, avec ses collègues. Mais il y a aussi, au niveau des compétences, de la prise de responsabilité, des nouveaux enjeux finalement du poste en lien avec la direction peut-être, avec des objectifs qui sont beaucoup plus incisifs. Et là-dessus, il faut aussi le former à prendre un poste de responsable. J’ai en tête un autre exemple : un ouvrier, un opérateur au sein de l’usine qui est là depuis 25 ans. Il connait son métier par cœur, il connaît l’organisation, la culture de l’entreprise, tous les changements qui ont pu déjà avoir lieu au sein de cette entreprise et on l’accompagne pour une mobilité, pour basculer vers un centre de recherche. Le gap en termes de formation, de background, il est de au moins 4 ans d’études. Bien sûr il en a les compétences, mais il va arriver dans un nouvel environnement qui est très différent de son quotidien. Donc, au-delà de la culture qui reste à peu près la même, la culture d’entreprise, des compétences qui sont un socle très important pour son avenir, il va falloir quand même l’accompagner et le développer sur de nouvelles compétences, sur de nouvelles manières de faire et surtout de transformer son quotidien pour être complètement en adéquation avec ce qu’attend l’entreprise et avec le monde d’aujourd’hui.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:08:17] Et dans cet exemple là, par exemple, si tu devais donner des conseils à un RH qui est en train de vivre cette situation, c’est quoi les points d’attention qu’il doit avoir au moment de la validation de cette mobilité ? Dans la phase d’évaluation, de sélection, de dire « ok, il va pouvoir passer ce gap là », et puis c’est quoi les conseils que tu lui donnes dans cette phase d’intégration et d’accompagnement ?
Caroline Damond [00:08:34] Donc dans la phase de sélection, ce qui est important, c’est de pouvoir cartographier les compétences du collaborateur. Je l’ai dit, les entretiens d’évaluation sur les objectifs, les revues de performance et autres vont nous aider à cartographier ces compétences. Et sinon, il faut travailler là-dessus avec un référentiel de compétences, savoir là où sont ses forces, là où sont potentiellement les points à développer. Moi, ce que je trouve intéressant aussi, c’est de le mettre en situation, c’est d’organiser des assessment, voir comment il pourrait se débrouiller dans un nouvel environnement. C’est bien sûr lui faire rencontrer, au-delà du manager, peut-être une équipe, lui parler de ce qu’est le quotidien. C’est accompagner en amont tout ce qui va être l’intégration future. C’est préparer cette bascule et dans le cadre de l’intégration, donc la partie juste après que le collaborateur soit confirmé et il rejoint ce nouveau poste dans cette partie d’intégration ce qui est intéressant aussi, c’est d’avoir quelque chose de construit, d’avoir un road book, d’avoir un canevas. Lorsque j’accueille quelqu’un qui fait partie de l’entreprise, je n’ai pas forcément à lui apprendre l’historique de l’entreprise, quels sont les grands points, les grandes valeurs de l’entreprise. Mais je dois l’accompagner dans ce qui va être son quotidien, ses interactions, son environnement de travail. Ça prend du temps, surtout laissons le temps, mais n’oublions pas cette phase d’intégration qui est essentielle à la réussite.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:10:06] Tu parlais tout à l’heure de la différence aussi entre des mobilités individuelles et collectives. C’est quoi les clés pour accompagner un collectif quand le collectif est amené à être dans cette évolution de son métier ? Parce que s’il reste sur son métier actuel bah son métier va disparaître, et donc il faut absolument l’accompagner vers de nouveaux métiers parce qu’il y a des transformations à mener. Là c’est tout un collectif qu’on doit emmener, c’est toute une famille métier, il peut y avoir de la résistance et de la mobilité parfois subie. Comment on accompagne ?
Caroline Damond [00:10:39] Alors ça, ce sont de grands grands projets. Il faut vraiment, je trouve, anticiper et prendre le temps de construire avant de lancer ce projet. Dans ces projets-là, un élément essentiel, c’est la communication. C’est communiquer à chaque moment, à chaque phase où on en est, vers quoi on veut aller, qui est impacté, quand est-ce que se passeront les différentes étapes. Beaucoup de communication et surtout de co-construction. Il faut pouvoir s’appuyer sur leur savoir. Il faut s’appuyer sur leur motivation. Il faut co-construire avec eux, il faut les embarquer, il faut les amener à se dépasser et à croire vraiment en ce projet comme nous on y croit. Alors ça va être aussi construire des vrais parcours, construire pour eux un avenir différent, c’est proposer des formations, mais qu’elles soient diplômantes, certifiantes, qualifiantes, en tout cas développer leur employabilité, ça va renforcer leur motivation, leur confiance en eux et finalement on se rend compte qu’ils ont tous un potentiel. Il faut juste arriver à les amener vers le bon poste, vers la bonne équipe qui pourra les accueillir pour qu’ils puissent s’épanouir et développer encore mieux leurs compétences.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:11:55] Et tu parlais tout à l’heure de l’exemple de quelqu’un qui est dans l’entreprise depuis longtemps, qui a une bonne maîtrise technique. Comment on sécurise ? Dans l’exemple que tu prenais tout à l’heure, moi je voyais plusieurs points d’attention : à la fois le bon expert technique qu’on veut faire passer sur un poste de manager. Comment on accompagne justement des managers qui veulent promouvoir dans leur équipe justement ce bon expert technique parce qu’ils ont le sentiment que, en fait, finalement, c’est la bonne réponse à leurs besoins ? Alors qu’on sait, nous RH, que potentiellement il y a quelques signaux d’attention qu’on doit avoir de manière plus importante.
Caroline Damond [00:12:27] C’est ça, est-ce que le bon expert technique sera un bon manager ? On est quand même sur des des facettes de métier complètement différentes, sur des aspects même de personnalité souvent qui sont complètement différentes. L’expert technique va rayonner par des compétences qui sont très pointues, très spécifiques, qui sont celles pour lesquelles il est reconnu en fait aujourd’hui. Pour autant, manager une équipe, ce n’est pas technique en fait. Manager une équipe, c’est presque viscéral. On a des outils bien sûr, donc là-dessus on est accompagné, mais c’est quelque chose aussi que l’on ressent. Donc on n’est plus du tout sur les mêmes profils de personnalité, j’ai envie de dire. Donc ça ne veut pas dire qu’on ne réussit pas, mais il faut pouvoir être aussi accompagné, il faut pouvoir être coaché, il faut connaître plein d’outils différents pour justement rallier ses équipes, définir clairement des objectifs et donc évoluer soi-même en tant que manager pour pouvoir faire évoluer les membres de l’équipe.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:13:35] On dit souvent qu’on est face à ces difficultés parce que les bons experts, ils ont pas d’autre possibilité d’évoluer que de passer sur la partie managériale. Dans tes expériences, comment t’as géré cette situation ? Est-ce que t’as réussi à mettre d’autres perspectives à ces experts que uniquement la perspective de se dire « si je veux gagner plus ou si je veux évoluer, il faut que je passe manager » ?
Caroline Damond [00:13:54] Oui, exactement. Souvent, certains sont frustrés quand on les passe manager parce que ça ne correspond pas à ce qu’ils souhaitent vraiment. Ou en tout cas, et même s’ils l’ont voulu au départ, c’est très éloigné de leur cœur même de métier. Et eux ils s’éclatent avec justement ce monde de l’expertise, ce monde de la technicité. Donc ce qu’on crée, ce qu’on met en place, ce sont des communautés d’experts. Donc soit au sein même de l’entreprise, parce qu’il y a assez de personnes reconnues experts et qu’on peut animer tout un réseau, les développer et autres, ais surtout moi je les invite à faire partie de réseaux externes. Que ce soit sur les mêmes domaines de compétences, le secteur d’activité, sur le maillage territorial local. Sortez, partagez, échangez, apprenez des autres, transmettez. Et c’est comme ça qu’ils arrivent à se réaliser aussi. C’est comme ça qu’ils arrivent sur des projets de recherche à publier par exemple. C’est comme ça qu’ils arrivent à aller partager tout cela lors de conférences. Les retours dans ces cas-là sont vraiment très très positifs et viennent les animer eux-mêmes. Donc ils sont experts, ils sont connus comme tels et sont reconnus comme tels au sein de l’entreprise. Ils font partie de cette communauté, que ce soit donc des experts techniques, mais aussi des talents, des personnes qui ont vraiment un potentiel d’évolution très important. Donc c’est la même chose. Il faut absolument accompagner cette particularité et ce n’est pas forcément par une mobilité verticale, en tout cas sur des postes de management, des postes à plus grande responsabilité ou plus grand rayonnement, mais pas forcément sur des postes de management.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:15:34] Quand moi j’étais RH en effet mes craintes autour de la mobilité c’étaient celles qu’on vient d’évoquer, le fait de me dire quand j’avais un bon expert technique, c’est « est-ce qu’il a réellement le potentiel ? Est-ce qu’on ne va pas le mettre en risque sur le sujet ? ». Et puis le deuxième élément qui était, ce qu’on est ce qu’on apprend souvent à l’école dans les formations RH, qui est le principe de Peter qui est de se dire « voilà, on évolue tous on monte au niveau du dessus, puis au niveau du dessus, puis au niveau du dessus puis à un moment donné, on arrive à notre niveau d’incompétence ». Comment est-ce qu’on évite justement ce principe de Peter ? C’est quoi pour toi les clés ou les points d’attention pour éviter de faire évoluer quelqu’un qui est aujourd’hui ultra performant, qui nous donne le sentiment en tout cas d’avoir du potentiel, mais en fait on va lui faire passer la marge de trop qui va le mettre en difficulté ?
Caroline Damond [00:16:19] Je pense justement que toute la partie GEPP est importante, tout le travail fait sur les successions planning, donc sur le plan de succession à un poste, est très important parce qu’il faut prendre le temps. Et dans le principe de Peter, effectivement, c’est je prends des responsabilités, je monte en compétences, je prends des responsabilités, je monte en compétence et ça ne peut pas se faire de manière rapide. Il faut du temps, il faut accompagner tout ça, cette montée en compétences, il faut accompagner cette prise de responsabilités. Il faut rendre ces parcours de carrière qui vont être plus robustes. Il faut vraiment les rendre fluides. Très souvent, les salariés reviennent vers nous en disant » on a l’impression que plus on monte et puis finalement moins on en sait quoi ». Et oui, il y a le point de rupture au bout d’un moment ou on devient incompétent ou en tout cas on se laisse rattraper par l’équipe. Et à leurs yeux effectivement, on est incompétent. Donc avant d’en arriver là, pour moi, il faut construire ces parcours, il faut avoir tous ces succession planning. Est-ce la bonne personne à mettre à ce poste pour l’étape d’après ? Est-ce qu’on ne va pas trop vite à le faire évoluer ? Non, il faut prendre le temps. Il faut prendre le temps et surtout co-construire. On doit être force de proposition, lais pour moi le salarié aussi doit être force de proposition et doit être vraiment acteur de son parcours. Donc, accompagnons-le, co-construisons son parcours pour ne pas arriver à ce « point de non-retour », parce qu’un manageur qui prend trop de responsabilités, qui devient incompétent quand on voit qu’il n’est plus du tout en ligne avec la performance demandée ou autre, eh bien qu’est-ce qu’on en fait après ?
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:18:05] Pour les auditeurs qui nous écoutent qui disent bien « oui ça je partage, mais sauf que la question de temps, moi j’ai des managers opérationnels qui mettent la pression parce qu’ils n’ont pas le temps, parce qu’il y a des contraintes opérationnelles ». Comment on accompagne les managers à tenir compte de ça justement pour éviter ces erreurs de casting, quand parfois il y a un décalage entre le temps nécessaire à faire évoluer quelqu’un et le temps opérationnel où j’ai besoin de quelqu’un immédiatement ?
Caroline Damond [00:18:28] Dans tous les postes de travail, on ne peut pas être 100 % focus sur juste la partie opérationnelle, délivrable. On a besoin de toute une partie de l’activité qui soit du temps de travail qui soit dédiée justement à la formation, à l’interaction, au réseautage, au coaching, au partage de connaissances. Si on oublie ça, en fait, on ne fait pas évoluer on ne développe pas notre collaborateur. Et faire évoluer et développer un collaborateur, c’est lui laisser l’opportunité et le temps de pouvoir se former, de pouvoir transmettre, de pouvoir accueillir et autre. L’opérationnel, c’est très bien et on le voit dans les usines. La productivité a des objectifs extrêmement importants, la cadence est infernale parfois, mais laissons leur une partie de leur temps de travail dédiée à autre chose qu’à l’opérationnel.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:19:29] Et comment on gère, quand on a été amené à faire évoluer un collaborateur, qu’on a pris le temps (ou pas trop le temps) et donc on a une part de responsabilité forte en tant qu’entreprise parce qu’on n’a peut-être pas assez accompagné, on a peut être mis la mauvaise personne, mais il se trouve aujourd’hui malheureusement que la personne n’est pas au rendez-vous de ce qu’on attend d’elle dans cette mobilité. Comment on l’accompagne, comment on gère cette situation qui a forcément dû t’arriver dans ton parcours professionnel, où en plus parfois on a notre responsabilité d’entreprise dans la prise de risque qui a été prise avec cette personne, comment on gère ?
Caroline Damond [00:20:01] Moi je me souviens, je raconte un petit exemple, je me souviens d’un ingénieur qui était brillant, brillantissime. Tout le monde se l’arrachait, voulait l’avoir dans son équipe et autre. Et finalement on n’a pas pris le temps de bien accompagner sa mobilité. Ça a été l’échec total. Ça a été un échec pour lui, avec une grande perte de confiance, un stress au quotidien parce qu’il voyait qu’il n’y était pas. Et puis finalement, échec pour l’entreprise. Se rendre compte que ce type brillant, qu’est-ce qui se passe finalement ? Il est pas si brillant que ça ? Finalement dès qu’on lui donne un peu plus de rayonnement et de responsabilité, ça le fait pas ? Alors, tu as plusieurs solutions. Soit vite, vite, vite, on essaye de remettre en place ce qui aurait dû être fait et donc tout le coaching, le support, le suivi bien sûr, le gap de compétences à combler absolument rapidement. Mais quand on a déjà senti que ça ne marchait pas, il est très difficile de faire en sorte que tout aille bien derrière et que ça ne se voit pas. Potentiellement, c’est soit redéfinir le périmètre du poste avec un peu moins de responsabilités, mais ça ça a aussi des conséquences sur le reste de l’équipe, sur un département, sur le fait de pas atteindre forcément les objectifs donnés. Ça peut être réactionner une autre mobilité. Moi je mets souvent en place des périodes probatoires, comme ça c’est un espèce de test, ils ont comme une période d’essai et on voit de part et d’autre, côté salarié et côté manager. Est-ce que vraiment on s’est bien trouvé ? Un peu comme dans un couple. Est-ce que vraiment ça va le faire ? Ça va matcher entre nous ? Et puis parfois, malheureusement, ça va plus loin et on n’arrive pas avec tout cet accompagnement, avec cette solution de repli, avec une mobilité différente, on y arrive pas du tout et malheureusement c’est l’échec et on perd certains talents de temps en temps de cette manière-là.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:21:57] C’est quoi l’émotion qui anime le quotidien de DRH ? Ton quotidien, c’est quoi ton émotion la plus présente ?
Caroline Damond [00:22:05] C’est les sourires de tout le monde qui viennent moi me donner le sourire au quotidien. Ils sont contents, ils sont heureux et on répond à leurs attentes, on les développe. Il y a deux jours, je passe voir l’équipe de nuit, on est en pleine transformation, ce sont des ouvriers sur des lignes de production. Ils viennent me voir, « moi j’ai besoin que tu m’accompagnes ». Il y en a deux qui sont venus : « J’ai besoin que tu m’accompagnes, je vais devenir gestionnaire paie, je veux changer de vie ». Un deuxième qui me dit « Moi, je veux devenir technicien fibre optique. Je veux travailler chez Orange, SFR ou autre et je veux faire ça. Est-ce que tu peux m’accompagner à ça ? » On a passé le temps ensemble, on a regardé, on a trouvé des parcours, ils étaient ravis de savoir qu’il y avait un autre chose pour eux et qu’ils étaient capables de basculer et surtout qu’on pouvait les accompagner, qu’ils n’étaient pas seuls. Les voir repartir avec de l’ambition, avec un futur très différent mais qui convient mieux à leur motivation et à leur épanouissement, moi ça me rend heureuse au quotidien.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:23:12] Donc le rôle RH, c’est aussi d’accompagner des réflexions vers des mobilités externes ? Parce que finalement là tu vas passer du temps d’accompagnement, mais pour des gens qui vont quitter l’entreprise.
Caroline Damond [00:23:22] En fait, on se doit de développer l’employabilité des collaborateurs. Alors forcément, quand on développe l’employabilité des collaborateurs pour l’entreprise, qui correspondent aux objectifs de l’entreprise, ça c’est parfait, c’est le match total. Mais dans la mobilité, des fois il y a des mobilités externes, des personnes qui ne s’y retrouvent plus. On parlait des transformations de l’entreprise. Voilà, l’entreprise prend une orientation qui est différente, qui colle pas forcément à tout le monde, ou alors des gens qui ont envie de se développer eux-mêmes, qui ont des vrais projets professionnels. Alors je ne vais pas les accompagner tout le temps, je vais pas leur tenir la main jusqu’au bout, mais leur donner déjà quelques lignes directrices, leur dire que c’est possible, que voilà, il faut qu’ils aient leur projet, c’est essentiel pour leur équilibre et pour leur équilibre de vie en général. Donc je n’y passerais pas trop de temps en effet. Mais oui, je dois répondre aussi à ces demandes-là, je dois les retenir si jamais forcément ce sont des collaborateurs importants à l’équilibre de l’entreprise, mais les retenir quand ils sont si motivés et qu’ils ont tellement envie de se diriger vers des voies différentes… Moi je ne vais pas pouvoir forcément leur offrir un poste qui leur conviendrait. Donc s’ils sont si motivés, ils ont envie de construire un projet pro en lien aussi avec leur équilibre perso, je trouve ça génial.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:24:44] Il y a beaucoup d’organisations où parfois le fait de parler de ces mobilités externes, on n’ose pas, c’est des sujets un peu tabous. J’ai le sentiment finalement en t’écoutant, que la clé c’est de ne pas en faire un sujet tabou ?
Caroline Damond [00:24:54] Alors moi je n’ai pas de sujet tabou en entreprise. Quelles que soient les thématiques, je n’ai pas de sujet tabou. Je travaille avec beaucoup de transparence et de communication. On peut tout se dire, on peut essayer de mettre en place plein plein de choses, je n’ai pas de soucis. On va avoir forcément une direction qui potentiellement va vouloir réduire un peu la voilure, en faire moins ou autre, mais ce n’est pas un sujet en fait. Tout peut être partagé, tout peut être décidé ensemble et construit ensemble. Donc non, il n’y a pas de tabou.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:25:27] Pour terminer notre échange aujourd’hui, si t’avais un conseil à donner à un jeune RH qui nous écoute, qui démarre dans la fonction. Voilà, avec ton expérience, ton regard sur la fonction, peut-être des erreurs que tu as pu commettre au démarrage dans la fonction. Quels conseils tu lui donnes ?
Caroline Damond [00:25:44] C’est un double conseil : protège toi, mais alors profite, mais profite ! L’échange humain, c’est ce qui te construit, te nourrit. Mais on le voit dans notre quotidien, même perso. C’est ce qui fait qu’on a confiance en soi, qu’on sert à quelque chose, qu’on a de la valeur ajoutée. Donc il faut se protéger parce que les situations ne sont pas toujours faciles.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:26:10] Comment se protège en tant que RH ?
Caroline Damond [00:26:13] Peut-être avec l’âge, la maturité, avec la distance, avec l’équilibre perso, avec des équipes qui nous entourent, avec des collègues bienveillants. Et je pense que c’est un vrai jeu de ping pong. C’est à dire que si nous on met en place tout ça, et alors je pense qu’on doit être les premiers à participer, à faire en sorte que l’équilibre et la bienveillance soient présents dans l’entreprise. Mais c’est un ping pong, c’est comme un boomerang, ça nous est renvoyé.
Etienne Ageneau – L’étincelle RH [00:26:48] Merci Caroline.
Caroline Damond [00:26:49] Merci Etienne.
Intro/Outro [00:26:53] Merci d’avoir écouté Bande de Flippés. Un podcast produit et imaginé par l’Etincelle RH en partenariat avec le Lab RH. Si vous avez des remarques, des suggestions ou si vous voulez partager vos peurs, vous pouvez envoyer un message sur LinkedIn à Étienne Ageneau. On se retrouve dans deux semaines pour découvrir un autre membre de la Bande de Flippés. Bouh!